Montessori et les Neurosciences actuelles

Par Mélissa Favier-Bosson (équipe 6-12)

 

Au cours des dernières décennies, plusieurs études menées dans le domaine des neurosciences, ont cherché à comprendre le développement et le fonctionnement du cerveau chez l’enfant. De 0 à 6 ans le cerveau de l’enfant connaitra le plus grand nombre de transformations avec la période sensori-motrice. Puis, jusqu’à l’âge adulte, le cortex pré-frontal, qui est responsable de l’attention et des fonctions exécutives (abstraction, jugement, auto-contrôle, flexibilité, organisation), se raffine.

 

Il y a quelques années j’ai suivi à Genève une conférence de Steven Hughes, chercheur en neuroscience pédiatrique aux États-Unis. Il est connu pour avoir mené différentes études sur les liens entre la méthode Montessori, le cerveau de l’enfant et la construction de la pensée. Ce n’est pas le seul à avoir conduit des expériences dans le domaine. On peut citer notamment les Dr Lillard, Dr Pate, Besançon, M. & Lubart, T. ou encore Solange Denervaud, neuroscientifique et chercheuse au CHUV à Lausanne. Dans toutes ces études, différentes techniques comme l’IRM ou l’analyse de données collectées ont été utilisées. Grace à leurs travaux, le docteur Hughes et ses confrères ont mis en avant par la science la véracité des observations et intuitions de Maria Montessori à son époque.

 

Comment le matériel et l’environnement Montessori agissent donc dans la stimulation et le développement du cerveau des enfants ?

Le mouvement et les expériences !

L’engagement dans le mouvement du corps et des mains, les sensations, déclenchent un processus neurologique.

 

« La difficulté n’est pas de bouger, mais de bien bouger intelligemment. »

Maria Montessori - Mouvement et caractère - chap. 22.-  29 oct. 1946

 

 

Si un matin vous vous retrouvez nez à nez avec un ours, par exemple, votre cerveau réagit par réflexe (amygdale et cerveau reptilien), comme un levier « action – réponse ». Mais il sait faire beaucoup plus. Ce fonctionnement est efficace quand on se retrouve en situation d’alerte, de danger.

Cependant, dans des situations de la vie quotidienne, le cerveau n’est pas dans ce mode « situation -> action réflexe ». Dans la plupart des moments de notre vie, nous réfléchissons aux possibilités qui s’offrent à nous et prenons une décision suivant différentes variables dans le contexte. La partie du cerveau responsable de cette réflexion, de la pensée complexe et prise de décision réfléchie est le cortex pré-frontal.

Un environnement Montessori, conçu pour les enfants, favorise la stimulation de cette partie du cerveau, et non pas seulement la partie mémorisation. Maria Montessori a compris ce besoin de développement par le mouvement et les expériences et le traduit dans sa méthode. Nous tenons compte dans l’organisation de la journée et du travail de la nécessité pour nos enfants de développer une réflexion logique, de l’autonomie de penser et d’agir avec responsabilité, respect et conscience, la capacité d’analyser les situations pour être proactif et indépendant. Ceci mène à un développement complètement différent de celui de rester assis et avoir un apprentissage par du par cœur. Voilà ce que Maria Montessori entendait dans la préparation à la vie : les enfants accumulent à travers les expériences, développent des capacités neurologiques et acquièrent une sorte de banque d’actions possibles. Ce répertoire de possibilités qui se construit en eux est transposable pour leur vie entière, ce sont des outils d’adaptabilité et de flexibilité.

 

En d’autres mots, nous offrons aux enfants des possibilités d’expérience, dans lesquelles ils trouvent des manières de répondre et ainsi créer des schémas.  Nous leur apportons différentes options de réponses, un répertoire de ‘quoi faire - quand’, et la possibilité de créer de nouvelles solutions par eux-mêmes.

 

Prenons un exemple concret dans la classe :

J’avais présenté à des enfants la pesée sur une balance. Quelques jours plus tard, ces enfants ont choisi de faire une carte de commande mêlant science et langage.

 

Voici la carte :

A ma grande surprise, ils ont trouvé une toute autre solution que la pesée ! Ils ont décidé de mettre l’une, puis l’autre des quantités dans un bécher gradué pour mesurer les quantités obtenues. Voilà un exemple d’enfants qui trouvent leur propre solution, s’adaptent et créent un nouveau schéma d’action. Ceci s’ajoute à leur répertoire de possibilités dans une telle situation.

Voilà l’une des raisons pour laquelle les expériences ‘sensorielles’ au sein de la classe sont importantes, sans citer toutes les notions académiques impliquées dans le processus de travail (lecture, compréhension, mesures, …).

 

C’est en faisant toutes ces expériences que les enfants développent de nouvelles connexions dans leur cerveau. Ils mettent en marche les deux hémisphères de la créativité et de la logique, les connectent pour trouver de nouvelles solutions. Cette gymnastique cérébrale se développe avec une efficience accrue avec le temps. Les enfants n’appliquent plus donc simplement un processus appris, ils réfléchissent pour réinvestir ou créer de nouvelles solutions.

 

L’adaptabilité signifie que nous améliorons nos schémas avec de nouvelles expériences’

 Steven Hughes.

 

 

Ceci va s’appliquer dans des situations d’apprentissage, et aussi dans les situations dites sociales et émotionnelles tout au long de la journée.

Durant ma formation, nous avons eu une conférence de deux enseignants montessoriens, Joseph Aken et Donna Goertz, sur la gestion des relations sociales et émotionnelles en classe. L’une des sessions portait sur le fait de ne pas demander aux enfants de s’excuser quand quelque chose se passe entre eux. Non pas de ne pas le prendre en compte, mais de discuter, donner les points de vue des enfants impliqués afin d’apporter l’empathie. Et au cours de mes années d’enseignement j’ai été témoin de gestes aussi sincères les uns que les autres de la part des enfants, de leur créativité pour montrer leur regret à l’autre. Certains on fait des dessins, d’autres proposent une poignée de main ou un câlin, d’autres vont chercher un verre d’eau pour l’offrir, …

 

Ces gestes sont initiés par les enfants et signifient pour eux beaucoup plus qu’un simple mot d’excuse. Là encore, le répertoire de situations et de solutions s’agrandit pour eux et ils s’adaptent en fonction de l’humain face à eux. En plus de développer l’empathie, leur cerveau fait fonctionner une fois encore cette plasticité et se construit par intelligence et non par schéma réflexe.

 

Chaque mouvement, chaque situation qu’elle soit intellectuelle ou sociale, va développer ces capacités chez l’enfant. Maria Montessori, par l’observation des enfants, a construit des environnements où le mouvement est libre, où les interactions sociales se font tout au long de la journée. Le travail seul ou en groupe et le matériel sensoriel donne l’opportunité de développer ce répertoire d’expérience avant d’atteindre l’abstraction, la maitrise de soi, l’indépendance, la possibilité de réfléchir et d’agir seul, pas à pas. Les enfants vivent ainsi les ‘erreurs’ non pas comme négatives, mais comme un schéma à ne pas reproduire et les engageant à en trouver un autre plus adapté.

Les interactions, qu’elles soient sociales ou avec le matériel construisent l’intelligence et l’adaptabilité des enfants au quotidien.

 

Ce que Maria Montessori avait compris par l’observation des enfants, est aujourd’hui validé par la science.

 

« Nous découvrîmes ainsi que l’éducation, ce n’est pas ce qu’apporte le maitre : c’est un processus naturel qui se développe spontanément dans l’être humain, qui ne s’acquière pas en écoutant des mots, mais par la vertu d’expériences effectuées dans le milieu. »

 

Maria Montessori - L’esprit absorbant de l’enfant – p.11 - Ed Desclée de Brouwer- 2010

 

 

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Reference

 

S. DÉNERVAUD, E. GENTAZ Les effets de la « méthode Montessori » sur le développement psychologique des enfants : A.N.A.E., 2015; 139; 001-006 une synthèse des recherches scientifiques quantitatives

 

BESANÇON, M. & LUBART, T. (2008). Differences in the development of creative competencies in children schooled in diverse learning environments. Learning and Individual Differences, 18, 381-389.

 

LILLARD, A. S. & ELSE-QUEST, N. (2006). Evaluating Montessori Education. Science, 313, 1893-1894

 

PATE, R. R., O’NEILL, J., BYUN, W., MCIVER, K. L., DOWDA, M. & BROWN, W. H. (2014). Physical activity in preschool children: Comparison between Montessori and traditional Preschools. Journal of School Health, 84, 716-721.

 

HUGHES Steven J.– Education for life: neuroscience perspective on Montessori education – Conference IFFM 2016

 

Maria Montessori - L’esprit absorbant de l’enfant - Ed Desclée de Brouwer- 2010

Maria Montessori - Mouvement et caractère - chap. 22.-  29 oct. 1946